A l’origine notre père obscur - Kaoutar Harchi

Editions Actes Sud, Août 2014

Personne ne sait exactement ce qu’il s’est passé mais une chose est certaine : elle exerce sur les femmes qui l’entourent une étrange fascination. À sa manière de les regarder, de leur parler, de les toucher, cette femme leur transmet une force. Elle répète souvent, en lavant son linge, en cuisinant, en frottant les carreaux : n’ayez peur de rien car en quittant cette maison, vous serez plus grandes qu’eux.

 

Présentation

Enfermée depuis son plus jeune âge dans la “maison des femmes”, une bâtisse ceinte de hauts murs de pierre où maris, frères et pères mettent à l’isolement épouses, sœurs et filles coupables – ou soupçonnées – d’avoir failli à la loi patriarcale, prise en otage par les mystères qui entourent tant de douleur en un même lieu rassemblée, une enfant a grandi en témoin impuissant de l’inéluctable aliénation de sa mère qu’un infini désespoir n’a cessé d’éloigner d’elle.

Menacée de dévoration par une communauté de souffrance, meurtrie par l’insondable indifférence de sa génitrice, mais toujours aimante, l’abandonnée tente de rejoindre enfin ce “père obscur” dont elle a rêvé en secret sa vie durant. Mais dans la pénombre de la demeure du père, où sévit le clan, la guette un nouveau cauchemar où l’effrayant visage de l’oppression le dispute aux monstrueux délires de la névrose familiale dont il lui faudra s’émanciper pour découvrir le sentiment d’amour.

 

Quand il fait noir dans la maison, que les femmes grattent contre la porte de la chambre sans fenêtre, qu'elles en veulent à mon corps de fille pour nourrir leur corps de mère, qu'elles hurlent leur amour qui n'est qu'une forme de faim, la main du Père qui protège, Dieu, comme je la cherche.

Avis

Ce n’est pas un récit, c’est un long poème. Pas de dimensions géographiques pour cette maison des femmes où vivent recluse celles qui sont accusées d’avoir fauté, déshonoré leur famille. A l’écart de tout, cette maison de pierre n’abrite que des ombres

La narratrice est une jeune fille dont la mère a été bannie dans cette maison par son mari, a-t-elle péché ou est-elle victime de rumeurs comme tant de ces femmes qui ne savent même pas pourquoi elles sont punies. Parce que c’est bien d’une punition qu’il s’agit, écartée de toute vie familiale, chassée de la société dans son ensemble. La porte de cette maison n’est pourtant pas fermée à clé, c’est dire l’acceptation de leur sort par ces femmes, le poids de la tradition plus fort que tous les verrous ; et elles attendent le pardon des leurs, leur retour auprès d’eux.

 

La narratrice, cette enfant qui a grandi entre ces murs, attend elle aussi, un geste de la mère, la voix du père, le retour à la maison. Elle recherche l’amour dans le silence de la mère, ce corps qui pourrait lui servir de refuge, cette âme chaleureuse qui peu à peu sombre dans la folie ; puis vint la maladie et la mort qui lui arrachent cette possibilité. Elle se retrouve seule face au manque et au désespoir, face à cette idée de Père obscur qui a laissé sa famille chasser la Mère, alors elle ira chercher cet amour et cette protection qui lui ont tant manqué, espérant que les liens du sang seront plus forts.

Aucun endroit n’est nommé car l’oppression des femmes est partout, le poids des traditions et d’une société patriarcale bien plus puissant que la volonté d’un seul homme, l’amour d’une seule femme.

Si je vous dis que j’ai lu ce récit comme on lit un long poème c’est que l’écriture et les mots choisis envoûtent le lecteur. Aucun prénom, aucun lieu comme si cette histoire bouleversante était intemporelle.

Une tragédie magnifique.

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