Jacob, Jacob - Valérie Zenatti

Jacob, Jacob - Valérie Zenatti
                 Prix Fémina 2014
                 Prix Médicis 2014
                 Prix du Style 2014

 

Présentation
 
« Le goût du citron glacé envahit le palais de Jacob, affole la mémoire nichée dans ses papilles, il s’interroge encore, comment les autres font-ils pour dormir. Lui n’y arrive pas, malgré l’entraînement qui fait exploser sa poitrine trop pleine d’un air brûlant qu’elle ne parvient pas à réguler, déchire ses muscles raides, rétifs à la perspective de se tendre encore et se tendant quand même. »
Jacob, un jeune Juif de Constantine, est enrôlé en juin 1944 pour libérer la France. De sa guerre, les siens ignorent tout. Ces gens très modestes, pauvres et frustes, attendent avec impatience le retour de celui qui est leur fierté, un valeureux. Ils ignorent aussi que l’accélération de l’Histoire ne va pas tarder à entraîner leur propre déracinement.

On pointe leurs noms sur un registre, on entreprend de les déguiser en soldats, ils enfilent leur uniforme kaki et se bousculent pour s'apercevoir dans l'unique miroir en pied de la pièce, les yeux brillant de se découvrir ainsi transformés par la grâce d'une chemise, d'un pantalon, d'une couleur. Certains cabrent la poitrine, rendus plus assurés encore par l'enveloppe virile, d'autres flottent dans leurs vêtements, la chemise trop grande rentrée dans le pantalon qui descend sur les hanches forme un bourrelet pathétique. On n'est pas aux Galeries parisiennes, leur lance le soldat qui distribue les uniformes sans toujours prendre en compte leur taille, faites pas les difficiles ou vous serez écrasés comme ça, et il fait semblant de tuer un moustique sur le revers de sa main.

Avis

Un véritable coup de cœur.

Jacob, Jacob. Deux prénoms pour deux vies, celle laissé à Constantine et la nouvelle qui nait en France et qui sera pourtant très courte.

Jacob, prénom donné à un précédent nourrisson, Jacob son prénom à lui aussi, ce jeune garçon né d’une mère déjà âgée Rachel et d’un père cordonnier Haïm, le dernier d’une fratrie de quatre garçons et pourtant si différent d’eux, sa présence seule éclaire la maison et apporte la joie : […]une gentillesse qui n’est jamais de la soumission, une faculté à être aimé de tous, à réussir là où les trois autres ont échoué, dans les études bien sûr, mais aussi dans la vie, tout simplement, privilégiant des relations aimantes et douces[…]

 

Jacob vient d’une famille juive, à l’éducation dure, vivant dans un modeste appartement où les générations cohabitent difficilement et où la femme est soumise, ne décide de rien, elle subit le sort qui lui est réservé sans mot dire. Comme Madeleine mariée à Abraham, le plus âgé des fils, partie de Tunisie elle vit désormais à Constantine, enfante et se délite. Le destin lui apportera des peines mais elle s’accrochera à l’amour de ses enfants.

[…] alors que la vision de Gabriel dans la cave avec les rats a envahi son esprit, elle devine ce que Haïm et Abraham ont fait, elle sait qu’elle n’y pense même plus, les larmes silencieuses coulent sur ses joues, elle pleure parfaitement sans bruit, ça fait onze ans qu’elle s’entraine.

 

En cette année 1944 la guerre va frapper à la porte de la famille et leur enlevé Jacob. On est en Algérie, et ce pays encore français va sacrifier certains de ses « enfants » à la guerre, combattre auprès des français et des GI. Alors on suit Jacob et ses trois amis sur cette terre qu’ils ont rêvés, un débarquement en Provence pour ces jeunes pas encore devenus hommes. Ils connaîtront la victoire, la foule heureuse, la peur et la douleur, la perte de ses amis comme une perte d’une partie de soi.

Il a pris place en face d'elle, a desserré son poing pour tenir entre le pouce et l'index la plaque d'immatriculation d'Attali, il a parlé, il parle, un camarade est mort aujourd'hui, un autre il y a quinze jours, je n'ai pas compté les morts que j'ai vus depuis qu'on a débarqué, est-ce qu'ils sont des dizaines, des centaines, je me suis dit chaque fois, tu ne le connais pas, tu ne sais rien de lui, tu ne connais pas sa voix, ne sais pas où il est né, ce qu'il aimait, ce qui l'effrayait enfant, ce qu'il voulait faire après la guerre, c'est comme s'il n'avait pas existé. On pouvait continuer d'avancer parce qu'on était ensemble, Attali, Ouabedssalam, Bonnin et moi, depuis le 22 juin, on était devenu une famille, alors la mort de Bonnin, la mort d'Attali, c'est pas comme les autres, c'est comme si un cousin ou un frère était tombé, comme si une partie de nous s'était arrêtée de vivre.

Ils se remémoreront les instants joyeux et les rêves, la famille et leur pays. Avide de vivre ils connaitront pourtant la neige et le froid, le gèle et la mort venue les faucher si jeunes.

Jacob est arraché à la vie et arraché à sa mère : Rachel qui ne sentait plus la force d’aimer personne, d’aimer la vie s’il fallait connaitre l’arrachement, à quoi ça lui servirait de vieillir si ça lui signifiait de s’éloigner de Jacob.

Ce roman, malgré la dureté de la vie de famille et de cette période, éblouie par les souvenirs qui sont donnés, une nostalgie d’un temps paisible. J’avoue avoir gardé un espoir pour Jacob mais le soleil d’Algérie n’a pas pu garder son cœur au chaud, c’est en Alsace qu’il se perd et que la guerre lui prend tout. Roman très court, triste. Un drame qui pourtant enchante par ses mots bien choisis, cette atmosphère si particulière malgré la guerre et ce personnage éblouissant, Jacob.

 

Vous qui ne savez pas combien l’enfance est belle.
Enfant! N’enviez point notre âge de douleurs
Où le cœur est tour à tour esclave et rebelle
Où le rire est souvent plus triste que vos pleurs.

Victor Hugo

Jacob, Jacob - Valérie Zenatti
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P
J'ai l'impression que tout le monde est unanime sur ce roman. Est-il possible de ne pas l'aimer ? :)
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S
Possible oui si la guerre est un sujet que tu n'apprécie pas, mais tellement d'émotions et de nostalgie s'en dégage que je suis persuadée que ces mots pourraient toucher n'importe qui :)