14 Novembre 2014
Présentation
Infusées de mystère et de suspense, ces dix nouvelles le sont tout autant de cette horreur tranquille que manie avec une éblouissante maîtrise Joyce Carol Oates dans nombre de ses récits « noirs ».
Le décor est vite planté. Il est en général des plus ordinaires. L’atmosphère, apparemment celle de la banalité quotidienne, est distillée en quelques phrases innocentes. Mais soudain – un détail qui cloche, une expression un peu sibylline –, voilà que se répand en vous une vague inquiétude, lentement transformée en subtile terreur. Allez-vous abandonner votre lecture de peur de vous noyer dans l’horreur ?
Pas question. Car cette championne de la survie en eaux glauques qu’est Oates vous oblige à tourner avidement les pages. Vous voulez « savoir », connaître la fin de ces histoires, vous en libérer. Et c’est à vos risques et périls – le moindre étant l’insomnie – que vous irez jusqu’au bout de ce génial Salut ! Comment va ! (propre à vous dégoûter à jamais du jogging) avant d’entrer dans l’abominable Musée du Dr Moses en passant par Surveillance antisuicide (de l’art consommé du chantage), le terrible Gage d’amour et l’atroce Dépouillement. Quant aux cinq autres nouvelles, elles sont dignes d’un Edgar Poe ou, avec L’homme qui a combattu Roland LaStarza, d’un Ernest Hemingway.
Ils étaient des parents américains aisés et éduqués, ils feraient tout ce qui était humainement possible pour aider leur enfant, pour le rendre à la normalité de l'espèce.
Il est notre seul enfant. Nous l'aimons tant. Nous ne comprenons pas. Nous sommes innocents. Ce n'est qu'une phase, une phase de croissance. Ce n'est plus un bébé. Qu'y pouvons-nous ? Il s'est noyé, ce qui était humain en lui s'est noyé. Ce qui est humain a disparu. Ce qui était nôtre a disparu. Où cela ?
Avis
Recueil de dix nouvelles qui reflètent en quelque sorte une Amérique qui perd pied, qui sombre dans le sordide et qui nous fait frissonner mêlant le suspense et le fantastique.
Le bonjour d’un jogger dans le parc d’une université, anodin direz-vous mais pas pour Oates qui en fait une course effrénée sans même un point pour reprendre notre souffle, une histoire banale qui vire au bizarre puis à l’horreur. Que dire aussi de la sordide disparition d’un enfant dans laquelle un fils en prison « torture » son père en lui racontant ce qui est arrivé à son petit-fils et à sa mère, la mort de l’enfant et la décision d’envoyer le corps par la poste. Est-ce la vérité ? Le grand-père le saura un jour si jamais il reçoit le paquet.
Une torture morale qui se retrouve dans une autre nouvelle dans laquelle un enfant échappe de peu à la noyade mais qui laissera des traces horribles sur son psychique et terrorisera la mère. Ce récit ma particulièrement glacé.
Une sombre histoire de vengeance dans laquelle un homme préfère mourir et laisser la femme qui l’a quitté découvrir son corps en décomposition et lui insuffler un sentiment de culpabilité, on suit ainsi le « périple » que la femme fera jusqu’à la découverte du corps. Un récit émouvant et désolant.
Quant à ce Dr Moses qui prête son nom à l’ouvrage, il était coroner d’une petite ville dans laquelle Ella a vécu et qui revient voir sa mère après un étrange appel de détresse. Première surprise, sa mère s’est remariée avec cet homme, deuxième surprise il tient un étrange musée médical, un musée des horreurs en quelques sortes puisque Ella y découvre la perversité de cet homme.
Du noir et encore du noir, c’est ce que l’on retrouve dans chacune des nouvelles avec comme point d’orgue le drame que l’on voit surgir furtivement comme un animal aux aguets prêt à fondre sur sa proie, et la proie c’est eux, ces personnages troublants, et vous amis lecteurs qui ouvrez grands vos yeux en lisant ce qu’il peut y avoir de plus terrible dans l’être humain.
Cet ouvrage met une fois de plus en avant cette fabuleuse capacité de l’auteure à construire en quelques pages, et sans long discours, une intrigue et une histoire captivante, fantastique et angoissante.