18 Mai 2009
Quatrième de couverture
A quelques mois de la retraite, Mohamed n’a aucune envie de quitter l’atelier où il a travaillé presque toute sa vie depuis qu’il est parti du bled. Afin de chasser le malaise diffus qui l’envahit, il s’interroge sur lui-même avec simplicité et humilité. Il pense à son amour profond pour l’Islam, dont il n’aime pas les dérives fanatiques ; il se désole de voir ses enfants si éloignés de leurs racines marocaines ; il réalise, surtout, à quel point la retraite est pour lui le plus grand malheur de son existence.
Un matin, il prend la route de son village natal, décidé à construire une immense maison qui accueillera tous ses enfants.
Un retour « au pays » qui sera loin de ressembler à ce qu’il imaginait.
Extraits :
La journée était divisée selon les cinq prières. La montre c’était le soleil et son ombre. Cependant il lui arrivait de sentir tout son poids, d’imaginer le temps comme un fardeau sur le dos d’un vieil homme marchant avec difficulté. Pour tuer le temps, il donnait des coups de pied dans le fardeau imaginaire ; il labourait la terre avec une lenteur particulière. […] Il ne comprenait pas pourquoi on disait : le temps c’est de l’argent. A ce compte-là, il se considérait riche. Un jour, son cousin, celui qui boitait depuis un accident de travail en Belgique, lui proposa d’ouvrir une boutique sur la route de Marrakech pour vendre du temps. Comment tu vas faire ? C’est simple, je vends aux touristes le temps qui est trop abondant chez nous ; je les connais bien, je les ai fréquentés en Europe, je leur dirai : venez chez nous, vous aurez beaucoup de temps devant vous, il n’y a rien à faire, vous vous reposerez, vous ne regarderez plus la montre et, à la fin de la journée, vous vous demanderez où est passé le temps.
Commentaire
Mohamed, travailleur immigré arrivé en France dans les années soixante, apprend, après quarante années de travail, que l’heure de la retraite est arrivée. L’entraite ou plutôt la retraite est pour lui un grand malheur, il ne se sent pas vieux pourtant mais cette « mise à l’écart » est pour lui le signe de son incapacité, il veut travailler ! Ouvrier modèle de la chaîne de montage il est maintenant rejeté. C’est étonnant ! D’autant plus qu’autour de lui, ses amis, ses collègues n’attendent que ça, la retraite c’est la liberté. Une nouvelle vie qui commence ? Non pas pour Mohamed, pour lui c’est le signe de la fin, la mort qui s’approche.
Il ne sait pas quoi faire de ce temps alors en attendant d’en parler à sa femme il se prépare chaque matin et part au boulot enfin il restera à l’entrée de l’usine. La déprime le gagne, il se sent rejeté par cette France, rejeté également par ses enfants qui sont davantage « Françaouis » que marocains. Ils ne parlent plus le même langage et ne portent plus les mêmes valeurs
Seule solution, rentré au Maroc, faire le chemin inverse, repartir dans son village. Il avait quitté sa terre natale pour chercher du travail ailleurs mais il revient avec un rêve, celui de construire une maison, une grande maison avec une chambre pour chacun de ses cinq enfants. Mais même dans son village Mohamed ne se sent plus à sa place, il perd la tête et le sens de la mesure.
« Mohamed est un homme perdu, dit un de ses cousins, il souffre, la France lui a pris ses enfants, la France lui a donné du travail puis elle lui a tout pris ; je dis ça pour tous ceux qui rêvent de partir travailler à l’étranger ; là-bas, nos valeurs ne valent rien, là-bas, notre langue ne vaut rien, là-bas, nos tradition ne sont pas respectées, regardez le pauvre Mohamed, c’était un sage, un bon musulman, et le voilà aujourd’hui, misérable, abandonné, à la limite de la folie »
La Folie. Elle le gagne et le ronge, cette maison tant rêvé est démesurée, inutile mais y attendra quand même ses enfants, après leurs avoir téléphoné et demandé de le rejoindre, de venir vivre avec lui et leur mère. Il les attendra dans un vieux fauteuil, posté devant cette maison mais ils ne viendront pas, il s’enfoncera doucement dans cette terre qui l’a vu naître et disparaîtra. L’un des villageois s’écrira : « Le village a son saint ! Dieu ne nous a pas oubliés ! »
Ce roman de Tahar Ben Jelloun, dont le narrateur est tout à la fois Mohamed et un élément extérieur, on passe du « il » au « je » sans réellement s’en apercevoir, est d’une écriture fluide, légère, le thème de la retraite n’est qu’un leurre car l’auteur n’a de cesse de nous parler du point initial, ce départ de la terre natale, du déchirement que cela provoque .Tout dans ce roman fait référence à l’exil, l’immigration vécue comme la solution ultime, l’immigré en France a un retour parfois difficile car il devient étranger dans son propre pays.